Association Démocratique des Français à l’Étranger

La réforme des retraites : chimère présidentielle

Les derniers mois ont vu ce qu’on pourrait appeler une provocation au mieux, un déni de démocratie au pire. Temps parlementaires réduits à leur minimum, peu ou pas de débat au Sénat et utilisation, en panique au dernier moment, d’une procédure d’engagement de la responsabilité du gouvernement.

Justement, l’accumulation des procédures – 47.1, 44.2, 44.3, et puis le fameux 49.3 – laisse pantois. Au-delà de faire bien malgré nous des experts en droit constitutionnel, on s’interroge. Pourquoi persister face à tant de blocage ? Quelle mouche a bien pu piquer l’exécutif ? Est-on vraiment là à traiter de « l’intérêt supérieur du pays » ? 

Certes, le 49.3 et les procédures qui lui ont précédé sont constitutionnellement acceptables. La France de Michel Rocard à la fin des années 80 ne s’en émouvait pas spécialement – 28 recours au 49.3 dont 13 lors d’une même session parlementaire et une opinion plutôt favorable du premier ministre malgré tout.

La situation aujourd’hui a bien changé : un président en début de deuxième mandat, réélu par moins de 19 millions de Français.es – sur un électorat en comptabilisant 45 – et surtout ayant la réputation d’être contempteur.

Dans ce contexte, le recours au 49.3 sur un sujet comme celui des retraites ne passe pas. Ce n’est plus du déni de démocratie mais de la brutalité constitutionnelle. Quel sera sens de cette réforme pour les Français.es si elle n’obtient pas un bloc solide d’opinion favorable, même minoritaire, dans le pays ? Au lieu de cela, le système tangue, on ne sait même plus qui de la majorité relative du président à l’Assemblée soutient vraiment cette réforme. Alors, on ne prend plus la peine d’expliquer, on passe en force, quitte à se mettre l’opinion, le pays et le Parlement à dos. On rajoute une pièce dans le juke-box et on entretient le ressentiment.

D’aucuns diraient qu’on ne peut pas réformer la France. La France ne serait qu’un pays de révolutionnaires. Soit. Mais peut-on s’asseoir sur l’expression de la rue, qui montre une union intersyndicale impeccable, et sur celle du Parlement ? Et surtout, à quel prix ?

Pourtant, la réforme des retraites ne passant pas s’explique simplement. C’est tout d’abord un manque de pédagogie. Mal expliquée, on ne comprend pas pourquoi celle-ci se retrouve dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. On ne sait pas non plus où est la logique par rapport au projet de loi précédent, ayant voulu introduire la retraite à points. Or, celle-ci avait à l’époque été présentée comme essentielle.

Ensuite, c’est un manque profond – et inquiétant – de compréhension du peuple français. Toucher aux retraites, c’est proposer un nouveau modèle de société. On ne réforme pas, en France, les retraites uniquement pour des raisons d’équilibre budgétaire. 

Une vraie réforme des retraites devait mettre tous les sujets sur la table : traiter la question des poly-pensionnés par exemple, celle des carrières internationales, celle de la pénibilité, celle de l’égalité face aux différentes caisses de retraite. Les sujets sont nombreux et fortement épineux. Alors forcément, repousser l’âge légal de départ par un projet de loi budgétaire…

Ainsi, on comprend mal l’entêtement du chef de l’État. Plus isolé que jamais, celui-ci ne semble pas avoir pris la mesure des effets engendrés par ses décisions arbitraires. Sans parler de l’image que renvoie ce blocage – et leurs débordements – à l’international, il persiste et signe : le chemin pris n’est pas différent de celui qui a conduit le pays à des blocages majeurs avec le mouvement des gilets jaunes dès 2018. Nous en connaissons pourtant l’issue, à la défaveur du gouvernement.

De plus, le rejet qu’il suscite par cette méthode ne bénéficie qu’à l’extrême droite et lui ouvre un boulevard pour les prochaines présidentielles.

Le cœur du sujet est finalement là : se rapprocher de l’équilibre budgétaire via cette réforme ou laisser au Rassemblement National l’opportunité de conquérir le pouvoir dans 4 ans ? Le président semble avoir fait sa propre analyse, faisant fi des risques encourus.

Ou alors, plus grave encore, l’essentiel n’est peut-être plus là pour lui. Souhaitant vouloir s’inscrire dans l’Histoire coûte que coûte, la réforme passera et portera sa signature. Point final.

Vincent Roué


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